Au Vietnam, la vente rapide de volailles en réponse aux maladies aviaires pourrait accélérer la transmission de virus mortels

Les éleveurs de volailles de petite échelle du Vietnam tendent à répondre aux foyers d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) en vendant rapidement leurs volailles, afin de limiter leurs pertes financières. C’est la découverte faite par une équipe de recherche internationale, dont l’étude est parue dans eLife le 25 août 2020. Ces volailles étant mélangées avec d’autres oiseaux dans les marchés et réseaux commerciaux, cette pratique pourrait accroître le risque de transmission de la maladie à large échelle. Ce résultat pourrait avoir une influence forte sur les politiques gouvernementales dans les régions du monde où l’élevage de volailles de petite échelle et l’influenza aviaire coexistent.

L'aviculture (l’élevage des volailles) à petite échelle est pratiquée par des millions de ménages vietnamiens, et par des millions d’autres familles rurales dans toute l'Asie du Sud-Est. Les tailles de ces élevages sont habituellement de moins de 100 volailles par ferme. Les éleveurs prennent régulièrement des décisions – souvent en réponse à des incitations économiques – sur le moment et le lieu de vente de leurs animaux. Et leurs décisions peuvent influencer la propagation des maladies, notamment l’influenza aviaire.

« L’influenza aviaire peut être mortelle pour les humains, avec un taux de létalité entre 25 % et 50 % , déclare Maciej BONI, professeur de biologie à l’Université de Pennsylvanie aux Etats-Unis. Heureusement, les cas de transmission interhumaine au cours des 15 dernières années ont été absents ou anecdotiques. La COVID-19 nous a pris par surprise, mais avec l'Influenza Aviaire Hautement Pathogène, nous avons une menace connue capable de se transformer en pandémie. Si nous ignorons le rôle actif que jouent les aviculteurs dans le contrôle et la dissémination de l’influenza aviaire, nous pourrions rater une autre occasion de freiner l’expansion d’une maladie émergente à un stade où elle est encore contrôlable. »

Le rôle des comportements des éleveurs de volailles dans la diffusion des maladies aviaires

Maciej BONI et son équipe, qui comprend des chercheurs de l'unité de recherche clinique de l'Université d'Oxford (OUCRU) à Ho-Chi-Minh-Ville, ont mené une étude sur des petites fermes avicoles de la région du delta du Mékong au sud du Vietnam. L’objectif était de caractériser les effets des foyers de maladie sur les taux de mise en vente et d’abattage des volailles, ainsi que sur deux pratiques visant à prévenir les maladies aviaires : la vaccination et la désinfection des locaux et équipements. L'équipe a suivi 53 éleveurs et leur gestion de plus de 1000 lots de volailles sur une période de deux ans, de 2015 à 2017.

L'auteur principal, Alexis DELABOUGLISE, économiste de la santé animale au Cirad et post-doctorant à Penn State au moment de l’étude, a établi des analyses statistiques pour modéliser la probabilité de vente ou d’abattage des lots, de vaccination contre l’influenza aviaire des lots non vaccinés auparavant, et de désinfection des locaux et équipements en présence de foyers de maladie.

« En cas d'épidémie dans une ferme voisine, les éleveurs peuvent choisir de vendre leurs volailles tôt pour éviter que leurs propres animaux ne soient infectés et pour éviter une baisse des prix , indique le chercheur. Et s'il y a une épidémie dans leur propre ferme, notre étude montre qu'ils sont susceptibles de vendre leurs volailles tôt pour minimiser à la fois les pertes financières et le risque épidémiologique.  »

« Nous avons ainsi constaté que les éleveurs envoient leurs poulets au marché plus tôt quand des foyers se produisent dans leurs fermes , explique Alexis DELABOUGLISE. Plus précisément, les éleveurs de petite échelle augmentent leur probabilité de vente de poulets de 56 % en cas de foyer sans mortalité rapide et de 214 % en cas de foyer avec mortalité rapide. Cela a le potentiel d'exacerber l'épidémie et de propager davantage le virus. »

Enfin, les scientifiques ont constaté que la probabilité de vaccination contre l’influenza aviaire augmente fortement avec la taille de l’élevage. La probabilité de vaccination est presque nulle pour les lots de 16 oiseaux ou moins et de près de 100 % pour les lots de plus de 200 oiseaux. Selon Alexis DELABOUGLISE, l'une des raisons pour lesquelles des millions d’éleveurs de petite échelle ne font pas vacciner leurs volailles pourrait être la main d’œuvre requise pour mettre en œuvre cette vaccination, ainsi que l’obligation de déclaration des lots aux services vétérinaires gouvernementaux avant vaccination. Une autre raison pourrait être qu’en raison de leur petite taille de production, leur statut vaccinal n’est pas contrôlé et, par conséquent, la vaccination est moins intéressante.

« Ce sont surtout ces petits lots qui sont plus susceptibles d'être vendus dans les réseaux commerciaux pendant les épizooties , affirme le chercheur. La vente rapide de volailles malades peut entraîner la contamination d’autres oiseaux sur les lieux de stockage des commerçants et sur les marchés de volailles vivantes. Elle expose également les consommateurs et les grossistes, les abatteurs et les détaillants à un risque accru d’infection. »

Alexis DELABOUGLISE note que l’arrivée massive de volailles immatures dans un marché de volailles vivantes, ou une baisse de prix due à une offre de volailles temporairement excédentaire, peut être le signe d'une épizootie.

« Cela ouvre une perspective intéressante pour la surveillance des maladies issues de l’élevage  », souligne-t-il.

Offrir des alternatives aux éleveurs des petites fermes de volailles

Les résultats de l’équipe pourraient aider les agences gouvernementales à développer des politiques visant à éviter la propagation de  l'Influenza Aviaire Hautement Pathogène.

« Les éleveurs de petite échelle pourraient jouer un rôle actif dans le contrôle des maladies infectieuses émergentes s'ils avaient l’opportunité de dépeupler leurs fermes après détection d’une maladie sans disséminer les agents pathogènes dans les circuits commerciaux , affirme Alexis DELABOUGLISE. Les décideurs pourraient encourager l’établissement d’accords commerciaux formels qui favorisent une gestion « vertueuse » des foyers de maladies aviaires. »

Un exemple de gestion « vertueuse » peut consister à vendre les poulets malades comme aliments pour les pythons et les crocodiles élevés à proximité. Un autre consiste à établir des accords avec les grands élevages commerciaux présent dans leur voisinage qui peuvent leur donner des indemnités financières en compensation de l’abattage et l’élimination des carcasses de volailles, afin de protéger leur propre production.

« Il est impossible d’exercer un contrôle sanitaire sur les millions de petits lots de volailles présents dans un pays comme le Vietnam , explique Alexis DELABOUGLISE. Mais il est possible de proposer des incitations économiques à une gestion responsable des volailles durant les épizooties. »

Ces recherches ont été financées par la Defense Threats Reduction Agency, le Wellcome Trust et la Pennsylvania State University.

Référence

Delabouglise, Alexis, Nguyen Thi Le Thanh, Huynh Thi Ai Xuyen, Benjamin Nguyen-Van-Yen, Phung Ngoc Tuyet, Ha Minh Lam, Maciej F Boni. 2020.  Poultry farmer response to disease outbreaks in smallholder farming systems in southern Vietnam . eLife

(Communiqué de presse du Cirad Communication du 01/09/2020)

Publiée : 01/09/2020