La santé, c’est l’affaire de tous. Pour un dialogue État-sciences-société dans les approches One Health

Le concept One Health, en décloisonnant les santés humaine, animale et environnementale, contribue à contrôler les maladies endémiques ainsi qu’à surveiller et prévenir de futures pandémies. Le Cirad mène depuis plus d’une décennie des recherches en ce sens, avec des acteurs de différents secteurs et disciplines, dans les régions tropicales et méditerranéennes, mais aussi en Europe. Il appelle à un déploiement durable et à grande échelle de ces initiatives, dépassant la seule réponse aux crises sanitaires. Au cœur de cette institutionnalisation : des interactions renouvelées entre l’État, les sciences et les sociétés.

La pandémie de Covid-19 a contribué à faire prendre conscience de l’incidence des changements globaux sur l’émergence et la propagation des agents infectieux et de leurs conséquences délétères sur les plans sanitaire et socioéconomique. Mais si le concept d’une seule santé fait l’unanimité pour mieux prévenir et contrôler les pandémies, les actions concrètes qui en découlent sont lacunaires. Comment dès lors opérationnaliser les approches intégrées en santé ? C’est cette question qui a réuni de nombreux décideurs, acteurs de terrain, institutionnels et scientifiques, dont le Cirad, lors d’un séminaire en mars 2021. En filigrane de la  récente publication synthétisant les travaux , le nécessaire dialogue État-sciences-sociétés. « La première étape des projets One Health consiste à faire sauter le verrou du cloisonnement sectoriel et amener différentes disciplines et échelles, du niveau local de terrain au niveau national, à travailler ensemble », analyse Aurélie BINOT, anthropologue et agronome au Cirad à l'UMR ASTRE.

Les sciences participatives, alliées des systèmes de surveillance sanitaire

L’ensemble des parties prenantes, à tous les niveaux, doivent co-construire les activités One Health. Les citoyens étant au cœur des processus d’émergence des menaces sanitaires - dont ils sont les premières victimes et/ou parfois les responsables - leur participation est impérative, « pour garantir la pertinence et la mise en œuvre effective des stratégies de santé », analyse Marisa PEYRE, épidémiologiste au Cirad de l'UMR ASTRE. En effet, « la prise en compte des besoins, contraintes et perceptions des populations en première ligne favorise leur adhésion aux normes qu’elles savent construites sur la base de leur réalité », précise sa consœur Marie-Marie OLIVE. En Guinée, le Cirad mène des recherches sur la mise en place concrète de dispositifs de surveillance communautaire, via le projet EBO-Sursy.

Construire des systèmes de surveillance sanitaire spécifiques aux contextes, via une approche bottom-up : c’est tout l’enjeu de l’initiative internationale PREZODE – PREventing ZOonotic Diseases Emergence, initiée et structurée par le Cirad, INRAE et l’IRD et dont les premiers projets débutent cette année. « Ce dialogue science-société-politique permanent porté par PREZODE représente un des enjeux majeurs à la prévention des prochaines pandémies », pointe Marisa Peyre, qui coordonne l’initiative pour le Cirad.

Jeux de rôle, fresques de transmission, cartographies, théâtre forum… Le Cirad s’appuie sur un ensemble d’outils participatifs d’anticipation et de modélisation, appuyant une démarche itérative qu’il s’attache à documenter. « Dans un territoire donné, nous identifions les parties prenantes de la gestion du risque et stimulons leurs interactions pour que des actions collectives émergent », illustre Aurélie BINOT. Le projet santé et territoires, sur lequel la chercheuse travaille, réunit au sein de living labs les acteurs locaux des processus de recherche et d’innovation, lesquels expérimentent des cadres de concertation et activités pour dynamiser la transition agroécologique propre à leur territoire, en lien avec les enjeux de santé qui y ont été identifiés. Autre exemple, le projet Bcoming s’appuie sur des approches participatives innovantes pour réduire l’émergence de maladies infectieuses par des stratégies de conservation de la biodiversité.

La recherche-action au service des politiques publiques en santé intégrée

Si répondre aux besoins des populations en première ligne est indispensable, c’est un ancrage législatif et politique à l’échelle nationale qui permet d’engager les réformes nécessaires. En Asie du Sud-Est, les travaux menés par le Cirad, l’ONG Agronomes et vétérinaires sans frontières et leurs partenaires sur la peste porcine africaine, offrent des résultats de recherche-action exploitables par les autorités.

« La grippe aviaire H5N1, le SRAS, Ebola concernent essentiellement des pays du Sud. Ils sont de fait plus sensibilisés aux approches intégrées et mieux préparés, expose François ROGER, directeur régional du Cirad en Asie du Sud-Est. La coordination multi-niveaux et multi-acteurs existe au Vietnam, où la plateforme “One Health Partnership” associe les ministères de la Santé, de l’Agriculture et de l’Environnement à des institutions de recherche, des agences internationales et des ONG ». 

« Depuis la pandémie de Covid 19, on observe une relative prise de conscience en Europe », poursuit François ROGER. « On y est plus sensible aux risques de maladies infectieuses, jusqu’alors perçues comme un problème du “Sud”, tandis qu’on s’intéressait davantage aux maladies non contagieuses et chroniques. Le domaine de l’antibiorésistance par exemple, enjeu majeur de l’interface santé-agriculture-environnement, est bien adapté pour réfléchir aux approches One Health. Les collaborations intersectorielles en France donnent de bons résultats » illustre le vétérinaire et épidémiologiste. 

C’est dans cet esprit que le nouveau Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (COVARS), qui remplace de manière pérenne le conseil scientifique Covid-19 auprès du gouvernement, concerne le risque infectieux chez l’homme et l’animal, mais aussi les risques liés au changement climatique et aux pollutions environnementales de l’air, de la terre et de l’eau. « Il se positionne très clairement dans une approche One Health » indique Thierry LEFRANCOIS, directeur du département Systèmes biologiques du Cirad et membre de ce comité gouvernemental. Institué sous l’égide des ministères de la Santé et de la Recherche, ce comité interagit avec les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique, réunit des scientifiques, médecins, vétérinaires avec un représentant de patients et un autre de citoyens. « La composition de ce comité illustre parfaitement la nécessaire interaction entre décisionnaires, scientifiques et acteurs de la société » souligne Thierry LEFRANCOIS.

Évaluer les approches One Health, gage de pérennité

« Nous devons apporter des preuves de concept qu’aborder un risque infectieux par une approche transdisciplinaire et multi-échelle, cela fonctionne, affirme Marie-Marie OLIVEMesurer l’impact des initiatives One Health est un champ de recherche à part entière, mais indispensable ».

Depuis une quinzaine d’années, le Cirad contribue à développer ces outils d’évaluation coût-efficacité, d’adaptation à une problématique donnée, etc. À l’image de cette vaste étude en cours, menée dans la cadre de PREZODE par le Cirad et la FAO, via un  questionnaire diffusé dans plusieurs pays pour évaluer la valeur ajoutée des approches One Health .

Former et sensibiliser les sociétés

Dans le cadre universitaire, des formations initiales et continues One Health participent à rapprocher différentes disciplines et à créer des liens entre facultés de médecine, de biologie et de sciences sociales, écoles vétérinaires et écoles d’agronomie. La nouvelle édition du Pilly, ouvrage français de référence en infectiologie, comporte pour la première fois un chapitre dédié au concept « One Health/une seule santé », coécrit par le Cirad. Celui-ci liste également les  Masters  et MOOC en santé intégrée. « Les agents de la fonction publique devraient être formés à la nécessité d’une approche holistique de la santé, via des modules à l’Institut national du service public (INSP, ex ENA) par exemple », estime François ROGER, qui a participé à la rédaction du Pilly.

Plus globalement, c’est l’ensemble des sociétés qu’il convient de sensibiliser aux liens et interdépendances entre santé et environnement. « Dès le niveau scolaire, c’est fondamental que les personnes comprennent que tout est lié. Ce n’est pas parce que les interactions sont complexes qu’elles sont inaccessibles au plus grand monde », soutient Marie-Marie OLIVE

(Plaidoyer du Cirad Communication du 045/10/2022)

Publiée : 10/10/2022